mercredi 5 décembre 2007

LES AUTOMATISTES L'école Borduas




(Publié le 28 février 1947 dans Le Quartier latin p. 4)



Borduas est à former chez-nous des "automatistes", autrement dit, des peintres qui s'efforcent de créer des sensations nouvelles par le seul jeu des couleurs sous l'effet du subconscient.
Voulez-vous vous rendre compte de leurs travaux? L'exposition se tient au 75 Ouest rue Sherbrooke, jusqu'au 1er mars. L'entrée est libre.
Les uns seront réjouis. les autres désappointés. Les amateurs de couleur en auront plein les yeux. Ces toiles sont non figuratives, autrement dit, ne représentent aucunes figures de personnes, d'animaux ou de natures mortes.
Que veulent-elles exprimer? A vous de juger et de trouver la solution! C'est là tout le problème!
Il est essentiel à l'appréciation d'un nouveau mouvement artistique, de se familiariser avec de bons spécimens représentatifs de ces tendances. Peu à peu, la sensation déconcertante du nouveau disparaît et l'oeuvre peut être jugée avec calme.
Moi-même j'étais perplexe à la première exposition, rue Amherst, l'an dernier.
L'auteur peut-il se permettre de deviner vos premières réactions en face de ces tableaux et vous mettre en garde?
En face de ces toiles nouveau genre, quelques amateurs diront: "Je peux facilement en faire autant". Voire!
L'automatisme est un genre nouveau, mal défini et encore plus mal compris. Quels sont les sentiments qui l'ont fait naître, d'où vient-il, où va-t-il et qu'apporte-t-il à la peinture?
Autant de questions qu'il faut étudier avant de donner une solution définitive.
D'ores et déjà, il faut admettre que l'automatisme est la création d'artistes de chez-nous, jeunes, qui cherchent une voie originale, une façon nouvelle de s'exprimer.
La critique officielle reste silencieuse, elle ne veut se compromettre. Elle pense à demain: les innovations sont toujours dangereuses! Et qui donc d'entre-nous peut lui lancer la pierre?
Gauvreau, peintre des harmonies de couleurs heureuses et recherchées, qui deviennent si facilement figuratives, est l'artiste habituellement le plus attrayant de l'exposition.
Mentionnons entre autre son "Cirque au matin" et "Jardins insistants".
Mousseau, remarquable par son Encre No 1 et Encre noire No 4; fait également des constructions et céramiques dignes de mention.
Sa Construction No 3 rappelle certains travaux de Weber mais mis dans l'espace.
Barbeau garde dans certaines de ses toiles une pâte épaisse qui rappelle celle qu'il avait à la première exposition, mais il nous revient cette année avec d'autres toiles d'une facture plus lisse. Ici: Les labeurs grimpants.
Fauteux garde sa manière de gavroche et de frondeur. C'est le plus satirique de tous.
Borduas, le chef de l'Ecole, expose une toile considérable, intitulée 1.47 qui est sans contredit le centre d'attraction de l'exposition. C'est une harmonie de vert, blanc, rouge et noir d'un effet renversant. Je ne sais quelles qualités on pourrait ajouter à ce tableau pour le rendre plus émouvant, plus passionné et je cherche en vain les défauts qu'on lui reproche. Le peintre d'Automatisme 1.47 appartient à la race des géants de demain. Comme il se dérobe à toute comparaison, on trouve commode de le nier, il a pourtant des similaires respectés dans l'art, et si le présent ne lui rend pas justice, l'avenir saura le classer parmi les meilleurs.
Signalons encore Abstraction 2.47.
Fernand Leduc qui est parti pour la France, n'a pas exposé.
Maintenant, si vous allez à l'exposition, -et j'espère que vous irez- les titres donnés aux différentes toiles par leurs auteurs sont facultatifs et vous pourrez les transformer vous-même au caprice de votre imagination: on ne peut pas en dire autant des tableaux figuratifs.
Que dire des photos-montages? Beaucoup croiront que c'est un jeu d'enfant, que ce n'est pas sérieux; d'autres n'y verront que leur aspect bizarre ou leur nouveauté.
Je crois plutôt que ces découpures sont un médium, un moyen d'expression, tout comme la peinture, l'encre de chine ou le fusain.
Ce qu'on reproche à cette exposition, c'est que pas un artiste de ce groupe, sauf peut-être Borduas, n'a réalisé puissamment et définitivement la formule nouvelle qu'ils apportent tous, éparses dans leurs oeuvres. Ce sont des précurseurs, l'homme de génie n'est pas né. On voit bien ce qu'ils veulent, on veut leur donner raison; mais on cherche en vain le chef-d'oeuvre qui doit imposer la formule et faire courber les têtes. Ils restent inférieurs à l'oeuvre qu'ils tentent, ils bégayent sans pouvoir trouver le mot. Mais leur influence n'en reste pas moins énorme, car ils sont dans la seule évolution possible, ils marchent vers l'avenir.
Quel que soit le résultat pratique des automatistes et de leurs travaux, ils méritent d'être suivis et encouragés pour leur capacité de travail, leur soif de nouveauté, leur besoin de créer et leur initiative dans l'Art.

Tancrède MARSIL Jr.